Reportage

Sur les traces des Cosaques

Sur les traces des Cosaques
Des cosaques s'exerçant au "djiguitovka", exercices de voltige défiant les lois de l'apesanteur © Alexander Utkin/AFP Photo

Impossible de dissocier la Russie des Cosaques et de leurs chevaux. Nous sommes allés sur leurs traces de Moscou à Dankov, à quatre cents kilomètres de la capitale.


Vos douceurs à vous, c’est la vaste plaine et un bon cheval : voilà les douceurs qu’il vous faut. Et ce sabre, vous le voyez ? Voilà votre mère ! Ainsi disait Tarass Boulba, cosaque zaporogue, à son fils cadet de retour au foyer familial après ses études. Ainsi donc incitait Nicolas Gogol (1809-1852), dans son célèbre roman, à partir sur les pas des Cosaques pour découvrir la “cosaquerie”, qu’il dépeint comme « un penchant généreux et débridé de la nature russe ». Le terme même est un rêve empreint de peur… D’origine turco-tatare, le mot est en réalité kazak qui signifie “vagabond”, “aventurier” ou encore “homme libre”. Selon les historiens, les Cosaques sont apparus au XIVe et XVe siècle dans les steppes du Sud de la Russie et de l’Ukraine. Issus de serfs ayant fui leur esclavage, ils s’installent sur le Don et le Dniepr, la Volga et le Terek, et dans l’Oural. Et, forcés de se défendre contre des nomades, ils se regroupent en communautés militaires.

 Le cheval va bientôt occuper une place centrale dans leur vie. L’historien Philip Longworth donne, dans les Cosaques (Albin Michel, 1972), cette description de leur monture : « le cheval non ferré de la steppe avait tout l’air d’un cheval sauvage, mais il était robuste et il pouvait partager la vie rude de son cavalier. Petit, léger, ardent, il était résistant, il avait un dos solide et il mangeait n’importe quoi. Il était capable de survivre à un hiver rigoureux sur la steppe sans abri, car il trouvait sa propre subsistance (pas grand-chose) sous la neige; quand il le fallait cependant, il pouvait franchir sous son cavalier quatre-vingts kilomètres par jour pendant deux semaines successives. » Il en existe autant que de régions ; ce sont les petits “chevaux des steppes”.

 De nombreux auteurs ont chanté les Cosaques. On sait moins qu’Alexandre Dumas, qui les observa vers 1850, les trouvait « agiles, gais, aimant la guerre, toujours en train de rire, de chanter ou de se battre » (Aventures au Caucase). Cette dimension joyeuse est prépondérante dans le mode de vie cosaque. Encore aujourd’hui la musique, la danse et le chant sont à l’honneur. Nicolas Gogol fournit une présentation précise de ce qu’est un Cosaque : « ce n’était pas une armée en ligne que celle-là : elle échappait à tous les regards. Mais en cas de guerre ou de levée générale, il ne fallait pas plus d’une huitaine pour que chacun se présentât, à cheval, armé de pied en cap, […] et, en l’espace de deux semaines, on voyait se former une armée que nulle conscription n’aurait pu rassembler. La campagne terminée, le soldat revenait à ses prés, à ses labours, aux passages du Dniepr, se remettait à pêcher du poisson, à faire du commerce, à brasser de la bière, bref, redevenait un franc Cosaque […] ».

 Organisés progressivement en régiments, appréciés et reconnus pour leur bravoure, les Cosaques participent aux campagnes militaires de l’Empire russe au long du XIXe siècle. Sous Nicolas II, les régiments de Cosaques de la garde impériale figurent parmi l’élite des troupes à cheval. S’il n’a jamais vraiment disparu du temps de l’Union soviétique, le mouvement cosaque actuel prend son essor avec la Perestroïka instaurée par Mikhaïl Gorbatchev. Il s’ancre dans un vaste socle culturel, religieux et, pour une part, folklorique ; il permet surtout de recréer des ponts avec l’histoire. Dans un présent tumultueux, sur fond de crise économique, la redécouverte de valeurs fondatrices de la vie en communauté n’est guère surprenante.

 Il y a en Russie aujourd’hui près de 800 000 Cosaques. Les communautés sont réparties en village (khoutor), village central d’un district cosaque (stanitsa), au sein d’associations locales composées de familles, habitants d’un ou plusieurs sites. La culture cosaque actuelle ne renie rien du passé. Le cheval en est une composante évidemment majeure. Des particuliers possédant des chevaux y contribuent tout comme des éleveurs et des clubs hippiques. L’adresse légendaire à cheval des Cosaques trouve aujourd’hui toujours à s’exprimer en défiant les lois de la gravité. Il s’agit de la djiguitovka. Lors des démonstrations, les djiguites passent sous leurs chevaux au galop, en descendent en pleine course, se retournent, sabrent à tout va de fines branches de bouleau posées à la verticale sur lesquelles sont posées des papakhas qui, par leur poids, retombent sur la même branche raccourcie de vingt ou cinquante centimètres. Les étriers des selles cosaques sont certes reliés entre eux par une sangle, la skachovka, qui offre davantage de stabilité et d’agilité qu’avec une selle classique, mais tout de même… Philip Longworth a donné du cavalier cosaque cette description : « tels ses prédécesseurs tatars, le cavalier était aussi endurci que sa monture; il pouvait se tenir en selle jour et nuit, voire dormir à cheval. Il se déplaçait rapidement et dans un silence absolu car il ne portait rien qui pût le trahir par un tintement ou un cliquetis : pas de chaîne à la bride, pas de bouton à son manteau. Comme éclaireur le Cosaque n’avait pas son pareil […] »...Lire la suite