Reportage

Ourasi, le petit miracle normand

Ourasi, le petit miracle normand
Ourasi remporte le Prix de Washington en 1988. Jean-René Gougeon son entraîneur le révèlera © APRH

Trotteur hors normes, restant le seul à avoir gagné quatre Prix d’Amérique, Ourasi fut un phénomène populaire. Jalonné de quelques-uns des plus hauts faits du sport hippique, son parcours est unique en son genre.

 L’histoire d’Ourasi se confond avec celle, aussi atypique que la sienne, de son éleveur et propriétaire, Raoul Ostheimer. Cet Américain d’origine, ayant vu le jour à la fin de la Grande Guerre en région parisienne, dans les Yvelines, naît sourd et muet. Enfant, se sentant “en phase” avec la nature et les animaux, il partage avec sa soeur, Colette, une réelle passion pour l’équitation. Celle-ci lui permet de surmonter son handicap et l’“ouvre au monde”. Si les chevaux de selle sont d’abord son domaine d’élection, les trotteurs ne vont pas tarder à s’imposer à lui. S’il s’intéresse à eux, c’est, sans doute, plus ou moins consciemment, en souvenir des voisins de ses parents, les Villenave, éleveurs de trotteurs parmi les plus réputés du moment, ayant contribué, dans la première partie du XXe siècle, à l’implantation du précieux sang américain en France. Or, lorsque, plus tard, il fait saillir la jument Fleurasie par l’étalon Greyhound, pour obtenir Ourasi, Raoul Ostheimer se souvient de la réussite de la famille Villenave avec le sang américain, le même que celui véhiculé, en ascendance mâle, par Greyhound, objet, pour cette raison, de son choix.

 Mais revenons un peu en arrière. Raoul Ostheimer, à l’âge d’homme, s’oriente donc vers les chevaux de trot et entend “mettre la main à la pâte”, tâter du terrain, s’impliquer au plus près… C’est monter et driver qu’il veut. Ainsi apprend-il les rudiments auprès des professionnels, débourrant notamment des poulains pour le compte de Charley Mills, fameux metteur au point. Puis notre homme se lance, vole de ses propres ailes. Selon le but qu’il s’est fixé, il monte et drive en course, en dépit de sa surdité. Il gagne même de belles épreuves, avec Urfée II et, plus encore, Roi d’Ys III, vainqueur, mené par ses soins, de l’important Prix de La Haye, sur l’hippodrome d’Enghien, au cours de l’été 1968. Bref, il réalise son rêve. Du moins le croit-il, à l’époque, car le meilleur reste à venir. Mais, même en rêve, pouvait-il espérer un jour “toucher” un Ourasi ?

 Fleurasie, la mère du crack, est arrivée dans l’élevage de Raoul Ostheimer, basé en Normandie, un peu par hasard, dans le cadre d’un échange. C’est Philippe Thirionet, éleveur à Bernay, dans l’Eure, qui est à l’origine de la transaction. Cherchant un cheval à driver dans les courses pour amateurs, il s’intéresse à Carabas, l’un des protégés de Raoul Ostheimer. Il propose alors à ce dernier de l’échanger contre Fleurasie, qu’il a lui-même achetée “à la surprise”, dans un lot de bovins (sic !). Il est vrai que la pouliche est d’origine modeste et a une conformation passe-partout. De même, en course, elle ne sort pas de l’ordinaire. En fin de compte, elle va signer trois succès, sur les hippodromes normands d’Elbeuf et de Graignes. Raoul Ostheimer n’en est pas moins fort aise de l’avoir troquée contre son Carabas, qui, d’ailleurs, ne sortira jamais de l’anonymat. Alors que la jument, une fois poulinière, allait donner naissance à un phénomène…

 Ayant comme le pressentiment qu’elle s’épanouirait à la reproduction, Raoul Ostheimer a tôt fait d’y envoyer Fleurasie, qu’il présente à l’étalon dès l’âge de 5 ans. Les trois premières années, elle lui procure d’honnêtes pouliches, sans plus, avant que, de sa quatrième saison de monte, ne naisse Ourasi. Pensant le devoir pour beaucoup à la chance, Raoul Ostheimer estimera toujours, modestement, que son crack était, selon sa propre formule, un « petit miracle ».

 Après avoir conçu son croisement, l’avoir fait naître et élevé, il le débourre, avec le concours de sa compagne d’alors, Rachel Tessier, qui joue un rôle déterminant dans l’avènement d’Ourasi car elle croit tout de suite en lui, bien qu’il se soit montré plutôt lymphatique, dans les premiers temps, à l’exercice. En vérité, le poulain cache bien son jeu, attendant la compétition pour le dévoiler...Lire la suite...