Confidences

Lucien Gruss : "Pour être un homme de cheval, il faut se donner tort"

Lucien Gruss : "Pour être un homme de cheval, il faut se donner tort"
Lucien Gruss, maître écuyer et homme de spectacle © Fabrice Vallon

Moins connu du grand public que son cousin Alexis (Alexis Gruss Junior), Lucien Gruss est une référence du monde du dressage. Grâce à un tact équestre réputé, ce maître écuyer accompli et atypique est à la fois dresseur, professeur et homme de spectacle. À 3 ans, épaulé par son père Alexis – écuyer et homme de cirque disparu en 1975 – , il effectue son premier numéro sur la piste, un numéro de chevaux en liberté. Son père l’initiera personnellement à l’équitation. Plus tard, cavalier accompli, il est l’élève du colonel de Ladoucette, un nom dans le dressage en France. Sur les conseils d’un autre maître français, Michel Henriquet, il se perfectionne au Portugal auprès de l’immense Nuno Oliveira et du docteur Guilherme Borba, alors directeur de l’École portugaise d’art équestre. En 1984, il a le privilège d’être reconnu par le Cadre noir de Saumur comme le seul écuyer externe à l’école, cent cinquante ans après Baucher… Le cirque, il le quitte en 1981, mais pour mieux y revenir (en 1997, il rejoint sa soeur Arlette; plus récemment, il conseille sa petite-nièce Laura Maria). Entretemps, il enseigne, travaille avec des cavaliers de compétition, comme Margit Otto-Crépin (vice-championne olympique en 1988) dans le dressage ou Michel Robert dans le CSO. Le monde du spectacle ne lui est pas étranger pour avoir collaboré avec Yves et Sophie Bienaimé ou conseillé les Hasta Luego, Dorothée Obry et Patrick Jullien, Jean-Charles Andrieux… À partir de 2005, il exporte ses talents au Portugal, aux Émirats arabes unis… Il y a dix ans, il a pris ses quartiers au Haras national d’Uzès, avec ses chevaux, des lusitaniens et des frisons. Il y propose chaque été des spectacles et y dispense en permanence son enseignement. Nous l’y avons rencontré. Cet homme de cheval aussi simple qu’exigeant confie être un disciple éclairé de Baucher et de Beudant. Il se dit marqué par l’enseignement de Nuno Oliveira, fidèle aussi à l’enseignement de La Guérinière, défend une équitation dont le premier principe est la légèreté et prône « le ressenti à cheval ». 

 

Le cirque est né de l’art équestre. Enfant de la balle et fils d’un renommé homme de cirque et maître écuyer, vous ne pouviez y échapper ?


Le cheval donne tant, sans tout réclamer, c’est magique lorsqu’on est en symbiose. Sans doute faut-il être cavalier pour comprendre cette passion qui fait un peu tout oublier pour le bonheur de cette complicité avec l’animal. Oui, le virus du cheval m’a été inoculé dès l’enfance. Et comment rêver plus belle initiation que celle d’un père à son fils ? J’appartiens à la sixième génération Gruss. Notre histoire circassienne commence en 1872 avec Charles Gruss, mon grand-père alsacien, tailleur de pierre à Sainte-Marie-aux-Mines. C’est là qu’un jour, il est tombé amoureux d’une danseuse de corde Maria Martinetti, de passage. Leur histoire est connue de tout le monde du cirque, ils sont partis jusqu’à Pékin avec leur petite troupe ! Ils ont eu cinq enfants dont mon père Alexis reconnu tant par le monde du cirque que par le monde équestre. C’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier mais avant cela, mon premier souvenir équestre me vient de ma mère. J’étais le neuvième enfant, j’étais choyé alors soyons honnête j’ai eu l’intuition de ce que pouvait être l’art équestre, d’abord sur un cheval à bascule ! Ma mère m’avait offert huit chevaux de bois, de belles bêtes en bois de hêtre que je pouvais déplacer à ma guise. Avec ma petite stature, cela prenait du temps, je déplaçais chaque cheval de bois à bras-le-corps et j’imitais mon père, je plaçais et déplaçais chaque animal pour équilibrer ma ronde. Au cirque, on apprend intuitivement à maîtriser les variations infinies qu’offre l’espace. Ma seconde cavalerie fut humaine, je réquisitionnais tous les enfants du cirque et les guidais dans une chorégraphie qui était celle de mon père. Je les obligeais à tourner en piste, à faire des pirouettes, à changer de main, à dresser leurs bras en l’air pour imiter les chevaux debout… C’était je crois assez bien vu et, malgré mon jeune âge, mon père n’a pas résisté à me former. C’est comme cela qu’à 3 ans, j’ai fait mon premier numéro de cirque, un numéro équestre avec des chevaux en liberté pour lequel j’entrais en piste en habits de cow-boy.

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