Culture

Jenny Jacottet : l’expression corporelle

Jenny Jacottet : l’expression corporelle
Jenny Jacottet travaille à l'instinct ses scuptures. Un mouvement, une attitude en sont le départ © Collection Jenny Jacottet

De la terre et du métal : il n'en faut guère plus à Jenny Jacottet pour immortaliser la beauté fugace des corps. Chez elle, tout est mouvement, grâce, danse. Une sculpture de l'apesanteur au sein de laquelle le cheval tient une place particulière...

Fût-ce d’une façon détournée, l’art s’efforce toujours de transcender la matière pure. Qu’il s’agisse de sons, de mots, de marbre ou encore de couleurs – le travail de l’artiste consiste invariablement à faire émerger la forme de l’informe, même lorsque celui qui s’y adonne s’ingénie à malmener ou à nier, volontairement s’entend, les règles de la représentation dite “objective”. Combinaisons, soustractions, ajouts, épures : la quête de l’harmonie comme du désordre intentionnel suppose d’abord une confrontation immédiate au chaos et à l’indéterminé. Pouvons-nous dire d’un dictionnaire de rimes qu’il est un recueil de poèmes, d’une palette qu’elle est en soi une peinture ? Certes non ! Il appartiendra à celui qui s’en saisit de projeter en eux quelque chose de lui-même pour que naisse, à proprement parler, l’oeuvre…

 Mais ce qui est profondément troublant, c’est qu’il advient parfois que le choix de la matière première apparaisse en totale contradiction avec la finalité poursuivie ou pressentie : suggérer le mouvement, l’évanescence sinon la légèreté d’un être saisi sur le vif au moyen de la sculpture – n’est-ce pas là à la fois paradoxal, déroutant… et fascinant ? D’un côté, la puissance de la pesanteur dans ce qu’elle a de plus physique ; de l’autre, le désir de voir s’envoler ad vitam aeternam le sujet auquel l’artiste aura donné vie… C’est la grâce musicale passée dans le silence de la matière.

 Cette hétérogénéité fondamentale, ce grand écart entre l’inanimé originel et l’aérien final est, à nos yeux, au coeur même des créations de Jenny Jacottet. Nombre de ses sculptures semblent le résultat d’un défi lancé à la force d’inertie, à l’immobilité et même à la lourdeur primordiales : sa pratique si singulière de l’ellipse, par exemple, introduit dans le volume des corps un complexe de vides si déliés qu’ils paraissent littéralement déborder de vie – et c’est à tel point qu’on en oublierait presque l’élémentaire nécessité du socle ! De fait, Jenny Jacottet le confie sans ambages : « Je commence toujours par le haut lorsque j’entame un travail et, si je le pouvais, je me débarrasserais volontiers du socle ! » On ne saurait mieux dire…

 Il est vrai que chez cette artiste – qui se qualifie paradoxalement de « timide » l’instinct fait office de guide : « Expérimenter, explorer, se prêter entièrement au jeu de la création et aux surprises qu’il peut réserver – je n’ai pas d’autre méthode… Je n’intellectualise pas ce que je fais : au fond, cela ne m’intéresse pas. Il faut que ça vienne des tripes ! »

 LE GOÛT DU TRAIT

 Quand elle se met à l’oeuvre, Jenny Jacottet n’a le plus souvent en tête que l’idée d’un mouvement, d’une attitude ; elle ne planifie ni les étapes à venir, ni la forme de la sculpture future. « Je ne sais pas ce que ça donnera. Pour moi, chaque création est en elle-même une quête et une redécouverte des potentialités de la matière – en l’occurrence, depuis cinq ans, le mariage du métal et de la terre. On repart de zéro, on tente, on ajoute, on retranche, on observe – toute la difficulté est de savoir s’arrêter à temps. Or il n’y a pas de recette… Lorsque j’étais étudiante, mon professeur de dessin de nu – Tamara, une Américaine – avait coutume de dire : ‘‘Il faut laisser faire les accidents.” J’ai vite compris la portée de cette formule, qui contient un enseignement précieux. Je fonctionne essentiellement à l’intuition – et il arrive en effet que les accidents se révèlent… heureux ! » L’humilité, on le voit, n’est pas incompatible avec le talent ...Lire la suite...