Culture

Gentlemen-riders, l'esprit du sport

Gentlemen-riders, l'esprit du sport
Prix Colonel de La Horie à Auteuil, une réception qui s'annonce difficile. Les gentlemen-riders sont autant touchés que les professionnels par les accidents © Morgane Valle/Scoopdyga

Ils sont l’âme des courses depuis leur création. Ces purs amateurs ne montent que pour la beauté du sport mais prennent les mêmes risques que les professionnels.

Gentlemen-riders et cavalières ! Le terme peut prêter à un sourire un brin narquois ou ironique. Les esprits chagrins y voient sans nul doute des histoires d’un autre temps – en tout cas, pas le nôtre ! – , des vieilles photos jaunies, des gravures anglaises accrochées sur les murs d’un manoir un peu fatigué… sans savoir vraiment ce qu’il en retourne exactement, sans même soupçonner que ces cavaliers ont traversé les guerres et les générations, avec la même force et la même insouciance. Ils montent en course comme les professionnels, quelquefois même avec les professionnels, avec quelques – petites mais essentielles – nuances et c’est ce qui fait tout leur charme… À regarder d’un oeil exercé les programmes de courses, on remarquera que leur nom (à la différence des jockeys professionnels) est systématiquement précédé de la majuscule “M”, signifiant “monsieur”, qui peut apparaître un tantinet anachronique, en ces temps nivellateurs. Lointaine réminiscence d’un passé où le principal journal de courses, le Sport, était sous-titré « Journal des gens du monde ». Abstraction faite des poids différents qu’ils ont à respecter sur la balance (plancher à 60 kilos chez les gentlemen, contre 51 chez les jockeys, selle comprise), ce “M” (ou ces “Mlle” et “Mme”) est la seule marque qui les distingue des professionnels face aux mêmes risques du métier.

 Ces gentlemen et cavalières sont donc soumis aux mêmes responsabilités financières (devant les joueurs du PMU et des propriétaires qu’ils leur ont confié les chevaux) et surtout à ces mêmes redoutables statistiques d’accidentologie professionnelle. Et elles font frémir : en moyenne une chute toutes les 13 prestations en obstacle, et 1 toutes les 300 en plat, sur les mêmes parcours que les professionnels. Les meilleurs d’entre eux se retrouvent à Auteuil pour le Prix de France (surnommé le “Grand Steeple-Chase des amateurs” dont la première édition remonte à 1889) sur les sévères obstacles de la Butte Mortemart. Ou à Chantilly, cette fois en plat, pour le Prix de la Reine-Amélie, une course exclusivement pour les cavalières. Mais ils se retrouvent aussi à Saint-Cloud, à Craon, à Pau, à Dieppe, à Pompadour, un jour de fête au village à Blain-Bouvron Le Gavre ou à Castera-Verduzan… Et tout cela exclusivement pour la beauté du sport.

 Le code des courses ne badine pas, en effet, avec les critères de l’amateurisme, à commencer par l’interdiction de toute rémunération pour le “service” sous la casaque. Pas question non plus que le gentleman ou la cavalière soit salarié dans un établissement d’entraînement. Aussi, à défaut d’être pécuniaires, les gratifications, en cas de succès, peuvent-elles prendre la forme de trophées divers (sponsors aidant) ou de “bons pour…”, comme le traditionnel “bon pour une entrée à vie à Auteuil” auquel donne droit la victoire dans le Prix de France. Sauf que les concepteurs de ce geste n’avaient pas pensé au cas de figure de victoires à répétition d’un seul et même amateur : à moins de se réincarner, que faire de cinq entrées à vie, comme en ont accumulé Christian Seguin et Jean-Hugues de Chevigny, codétenteurs du record de victoires dans cette immémoriale épreuve ?

 L’amateurisme se confond donc avec la genèse des courses et leur envol en France au XIXe siècle (en retard de plus d’un siècle sur le turf anglais). Il n’y en avait alors que pour “les intrépides de la fashion” qui se donnaient en spectacle et se grisaient à se faire des frayeurs (car « en France, on se casse le cou de gaieté de coeur » avait écrit un chroniqueur du Journal des Haras de cette époque-là, journal qui était distribué de New York à Saint- Pétersbourg !). Et c’est en 1834 qu’est apparu pour la première fois le terme de “gentlemen-riders”, sur un programme du Bois de Boulogne (Longchamp n’existait pas encore), disputée sous les auspices de la toute récente Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France (née en 1833), ancêtre de France Galop.

 Deux ans plus tard, les fashionables ont leur course : c’est à Chantilly dans le Prix de la Reine-Blanche, le jour du tout premier Prix du Jockey-Club. On précise que « les chevaux dont les nattes seront tressées de rubans aux couleurs du propriétaire recevront 2,5 kilos » [sic], et que ces “Messieurs” devaient nécessairement se présenter « tous en casaque à jabot et manchettes, culotte de daim blanc et coiffés de casquettes de velours » ! Anglomanie et romantisme, assortis d’un zeste de dandysme, animaient ces intrépides, pour beaucoup issus de l’aristocratie civile et militaire. D’où l’attrait particulier de la presse mondaine de l’époque pour leurs exhibitions, qui avaient le mérite de « donner une bonne direction à des capitaux considérables qui, souvent, s’engloutissent dans de folles dépenses sans profit et sans utilité pour le pays » (Journal des Haras)...Lire la suite...